Harcèlement moral : un maire condamné à verser sur ses deniers personnels 100 000 euros de dommages intérêts à deux cadres territoriaux

Harcèlement moral : un maire condamné à verser sur ses deniers personnels 100 000 euros de dommages intérêts à deux cadres territoriaux

Cour de cassation, Chambre criminelle, 30 mars 2021, N° 17-82.096 20-81.516


Un maire qui s’est rendu cou­pa­ble de har­cè­le­ment moral peut-il être condamné sur ses deniers per­son­nels à indem­ni­ser les vic­ti­mes bien que la com­mune ait déjà été condam­née à répa­rer leur pré­ju­dice ?

 

Source : OBSERVATOIRE SMACL DES COLLECTIVITES

 

Oui dès lors qu’il s’agit d’une faute per­son­nelle déta­cha­ble non dépour­vue de tout lien avec le ser­vice. Les vic­ti­mes peu­vent, à leur choix (droit d’option de la vic­time), enga­ger la res­pon­sa­bi­lité admi­nis­tra­tive de la com­mune et/ou la res­pon­sa­bi­lité per­son­nelle civile du maire fautif. Et le juge judi­ciaire n’est pas lié par l’évaluation du pré­ju­dice par le juge admi­nis­tra­tif. En l’espèce une com­mune avait été condam­née à verser 10 000 euros de dom­ma­ges-inté­rêts à deux cadres ter­ri­to­riaux vic­ti­mes d’agis­se­ments de har­cè­le­ment moral de la part du maire. Condamné au pénal, le maire est également condamné civi­le­ment à verser aux deux plai­gnants, sur ses deniers per­son­nels, 50 000 euros à chacun. La Cour de cas­sa­tion confirme la condam­na­tion de l’élu sou­li­gnant que « la condam­na­tion par une juri­dic­tion admi­nis­tra­tive de la com­mune, en raison d’une faute per­son­nelle de son maire, déta­cha­ble du ser­vice mais non dénuée de tout lien avec celui-ci, a pour effet de subro­ger la col­lec­ti­vité dans les droits de la vic­time. Elle ne sau­rait donc avoir pour effet de limi­ter l’appré­cia­tion de la juri­dic­tion répres­sive dans la répa­ra­tion du pré­ju­dice résul­tant de cette faute, cons­ti­tu­tive d’une infrac­tion pénale. »

 

[1]
Sur plainte de deux cadres de la col­lec­ti­vité, un maire (com­mune de plus de 10 000 habi­tants) est défi­ni­ti­ve­ment condamné au pénal à dix mois d’empri­son­ne­ment avec sursis et 5 000 euros d’amende.

 

La Cour de cas­sa­tion annule en revan­che la condam­na­tion civile du maire à verser 150 000 euros de dom­ma­ges-inté­rêts aux plai­gnants, faute pour les juges d’appel d’avoir expres­sé­ment retenu à son encontre l’exis­tence d’une faute per­son­nelle déta­cha­ble du ser­vice. En effet les juri­dic­tions judi­ciai­res ne peu­vent rete­nir la res­pon­sa­bi­lité civile per­son­nelle d’un élu ou d’un agent que s’ils ont expres­sé­ment carac­té­risé à son encontre une telle faute. A défaut, elles doi­vent invi­ter les par­ties civi­les à mieux se pour­voir devant les juri­dic­tions admi­nis­tra­ti­ves.

La cour d’appel de renvoi confirme la res­pon­sa­bi­lité per­son­nelle du maire esti­mant qu’il a bien commis une faute per­son­nelle et le condamne à verser près de 50 000 euros à chacun des deux agents. L’élu objecte que le juge judi­ciaire ne pou­vait le condam­ner à un tel mon­tant alors que la com­mune a déjà été condam­née par le juge admi­nis­tra­tif à verser aux agents 10 000 euros.

 

L’argu­ment est écarté par la Cour de cas­sa­tion :

« la condam­na­tion par une juri­dic­tion admi­nis­tra­tive de la com­mune, en raison d’une faute per­son­nelle de son maire, déta­cha­ble du ser­vice mais non dénuée de tout lien avec celui-ci, a pour effet de subro­ger la col­lec­ti­vité dans les droits de la vic­time. Elle ne sau­rait donc avoir pour effet de limi­ter l’appré­cia­tion de la juri­dic­tion répres­sive dans la répa­ra­tion du pré­ju­dice résul­tant de cette faute, cons­ti­tu­tive d’une infrac­tion pénale. »

 

En d’autres termes le juge judi­ciaire n’est pas liée par l’évaluation du pré­ju­dice par le juge admi­nis­tra­tif. L’occa­sion de rap­pe­ler que la carac­té­ri­sa­tion par le juge d’une faute per­son­nelle déta­cha­ble du ser­vice ouvre droit aux vic­ti­mes un droit d’option leur per­met­tant d’action­ner la res­pon­sa­bi­lité de la col­lec­ti­vité et/ou celle de l’élu (ou de l’agent). En tout état de cause la col­lec­ti­vité est fondée à se retour­ner contre l’élu fautif pour lui deman­der le rem­bour­se­ment des sommes ver­sées aux vic­ti­mes. En l’espèce la condam­na­tion pro­non­cée par les juri­dic­tions admi­nis­tra­ti­ves au titre de la pro­tec­tion fonc­tion­nelle subroge la com­mune dans les droits des vic­ti­mes, à concur­rence des indem­ni­tés octroyées en répa­ra­tion des faits de har­cè­le­ment moral commis.

 

La Cour de de cas­sa­tion approuve également les juges d’appel de la cour de renvoi d’avoir retenu et indem­nisé la perte de chance de reconver­sion pro­fes­sion­nelle des deux agents « mis au pla­card » qui avaient eu un par­cours sans faute avec des nota­tions de qua­lité, des res­pon­sa­bi­li­tés impor­tan­tes et reconnues, ainsi qu’une pers­pec­tive d’évolution de car­rière. En effet leurs oppor­tu­ni­tés de muta­tion ont été obé­rées en raison des faits de har­cè­le­ment moral subis d’avril 2008 à octo­bre 2010, ce qui cons­ti­tue une perte de chance de réa­li­ser une muta­tion pro­fes­sion­nelle, y com­pris dans une autre col­lec­ti­vité, qui se serait également ren­sei­gnée auprès de leur col­lec­ti­vité d’ori­gine.

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